Avant-propos
En l’espace de soixante ans, la France a connu une profonde transformation de ses ménages. Bien connue dans ses aspects sociaux et culturels (diminution de la taille des ménages, croissance du nombre de familles monoparentales, décohabitation, personnes âgées isolées …), cette mutation l’est moins dans son versant territorial. C’est l’enjeu de cette étude : mettre en évidence la nouvelle géographie des ménages, pour construire des politiques publiques capables de répondre à la spécialisation croissante des territoires par type de ménages.
Pour approcher cette mutation de la géographie des ménages, un exemple : l’Île-de-France. En 1968, la région capitale avait la taille moyenne des ménages la plus faible de France ; aujourd’hui elle affiche au contraire la plus élevée (2,32 personnes par ménage pour une moyenne française tombée à 2,23). Les territoires périurbains, notamment franciliens, se sont ainsi affirmés en cinquante ans comme l’espace privilégié des grands ménages. A contrario, les personnes seules sont nom-breuses dans les grands centres urbains (en majorité des jeunes) ou dans les territoires les plus ruraux (souvent des personnes de 65 ans et plus). Les familles monoparentales sont quant à elles surreprésentées dans les plus grands pôles (Paris, Lyon, Bordeaux) ainsi que dans le Nord de la France, ou encore sur le littoral méditerranéen.
Ces différences de profils des ménages selon les territoires traduisent plusieurs logiques. Tantôt fruit d’un héritage culturel (des familles plus grandes dans l’Ouest catholique), ces écarts reflètent aussi la différenciation des mobilités résidentielles liées au cycle de vie (les jeunes dans les centres urbains, les familles avec enfant(s) en périphérie des agglomérations, les retraités dans les territoires ruraux ou littoraux), ces dernières traduisant parfois la disponibilité des logements, c’est-à-dire notamment les choix passés en matière d’urbanisation et de planification.
Cette spécialisation entraîne une différenciation croissante des besoins des populations par terri-toire. C’est le premier enjeu en termes de politiques publiques. Les personnes âgées vivant seules dans les territoires ruraux rencontreront davantage de problèmes de mobilité et d’accessibilité aux services. Celles qui déménagent vers les littoraux méditerranéens et océaniques nécessiteront une politique de santé adaptée sur leur nouveau lieu de domicile. Les mobilités des couples avec enfant(s), préférant s’éloigner des centres urbains, traduisent quant à elles les écueils d’une politique du logement qui ne parvient pas à répondre aux attentes de ces familles dans les grands pôles, entraînant de fortes demandes de mobilité mais aussi de services dans les territoires de destination (établissements d’accueil de jeunes enfants notamment).
Au-delà, la dissociation croissante entre les types de ménages selon les territoires constitue un facteur de fragilité compte tenu des dynamiques contrastées de peuplement : par exemple, les espaces périurbains construits dans les années 1970-80 et alors peuplés de familles avec enfant(s) comptent maintenant beaucoup de retraités nécessitant la mise en place de services différents. Enfin, la spécialisation de certains territoires dans l’accueil de populations spécifiques interroge la cohésion territoriale de l’espace français, sa capacité à construire des territoires favorables à la mixité des modèles familiaux et au vieillissement. En dressant un état des lieux synthétique de la géographie des ménages vivant en France, cette étude interroge ainsi la capacité à penser les politiques d’aménagement harmonieuses et prenant en compte les effets de spécialisation territoriale.