L’isolement résidentiel, un phénomène qui touche majoritairement les femmes dans la moitié nord de la France et les espaces urbains
Le risque d’être isolé et de voir ses relations sociales réduites augmente avec l’âge1, ce qui représente un enjeu majeur pour les collectivités. L’isolement recouvre en effet des champs variés liés aux politiques publiques, comme l’habitat, l’accessibilité aux services, l’intégration des personnes âgées dans l’espace public ou encore la culture.
En 2018 en France, près de 2,4 millions de personnes âgées de 75 ans ou plus vivent seules2, soit 42,5 % d’entre elles. La probabilité de vivre seul augmente avec l’âge consécutivement au départ des enfants et surtout au décès du conjoint. Ce phénomène touche tout particulièrement les femmes, puisque 54,9 % des femmes de 75 ans ou plus vivent seules contre seulement 23,8 % des hommes. Cet écart s’explique par des espérances de vie à la naissance différenciées, de 85,1 ans pour les femmes à la naissance contre 79,1 ans pour les hommes en 20203, accentué par une différence d’âge dans les couples hétérosexuels, l’homme étant souvent plus âgé que la femme4. Les femmes se remettent par ailleurs moins souvent en ménage une fois veuves5, tandis que les hommes sont placés plus tôt en institutions à état de santé équivalent, rencontrant davantage de difficultés à assumer les
tâches de la vie quotidienne une fois seuls6.
Les logiques spatiales de l’isolement résidentiel varient selon le sexe. En 2018, c’est dans les Drom, notamment en Martinique (30,1 %) et Guadeloupe (28,9 %) que l’on trouve les plus fortes proportions d’hommes de 75 ans ou plus vivant seuls, ainsi que dans des régions de la diagonale centrale, comme les anciennes régions Bourgogne (25,0 %), Champagne-Ardenne (25,5 %) ou Limousin (25,7 %). C’est également dans les Drom que la part de personnes de 75 ans ou plus vivant seules a le plus augmenté, entre 2008 et 2018 (+ 4,2 points de % pour La Réunion et + 2,6 points de % pour la Martinique). Pour les femmes, ce sont les régions du nord de la France, bordant la Manche, qui sont les plus concernées, comme les Hauts-de-France (58,0 %), la Normandie (57,5 %), la Bretagne (57,4 %) mais aussi Paris (63,5 %) et certains départements de sa première couronne. Ce phénomène s’explique en partie, pour ce qui concerne les régions situées en bord de Manche, par une espérance de vie des hommes à 60 ans relativement faible, laissant davantage de femmes vivant seules.
Au contraire, dans les départements du Sud-Ouest et en Corse, l’espérance de vie des hommes à 60 ans est élevée, et la part de femmes seules de 75 ans ou plus assez faible.Demeurent cependant des exceptions comme Paris, le département du Rhône ou encore la Manche et l’Ille-et-Vilaine, où la part de femmes de 75 ans ou plus vivant seules est forte, malgré une espérance de vie des hommes à 60 ans élevée.
Le phénomène d’isolement résidentiel semble donc concerner davantage des départements plutôt urbains et densément peuplés7, exception faite de la Manche. En effet, il existe également des logiques urbain/rural à l’isolement différenciées selon le sexe. Plus l’espace est dense, plus la part de femmes
de 75 ans ou plus vivant seules est importante. Les écarts sont quant à eux plus faibles pour les hommes, chez qui la proportion de 75 ans ou plus vivant seuls est à peine plus élevée dans les espaces très peu denses (26,3 %) que dans les espaces denses (25,2 %) ; résultat en partie lié au célibat plus fréquent des hommes dans le milieu agricole8, mais aussi par un ratio femmes-hommes déséquilibré en faveur des hommes9.
Un éloignement aux services plus important dans les espaces les moins denses et les massifs de montagne
À la fin des années 2010 en France métropolitaine, 81,3 % des personnes de 75 ans ou plus se trouvent à moins de 5 minutes en voiture en situation d’heures creuses d’un panier de services de la vie courante, 16,1 % entre 5 et 10 minutes et seulement 2,6 % à plus de 10 minutes10. Toutefois, le temps d’accès aux services varie fortement selon les territoires : il est plus élevé dans certains massifs de montagne comme le sud du massif alpin, la Corse, le Massif central ou encore les Pyrénées, mais aussi dans les territoires de faible densité.
À titre d’exemple, 40,5 % de la population âgée de 75 ans ou plus se trouve à plus de 10 minutes en voiture en situation d’heures creuses d’un panier de services de la vie courante dans les territoires de très faible densité, 2,0 % dans les territoires peu denses, et moins de 1,0 % dans les espaces denses et de densité intermédiaire.
Se posent ainsi ici des enjeux en matière d’aménagement et d’équipements, mais aussi de mobilité, puisqu’en vieillissant, conduire devient plus difficile, d’autant plus que les femmes (majoritaires aux grands âges) sont moins nombreuses à détenir le permis de conduire11.
De plus, à l’isolement résidentiel des femmes en milieu urbain, peuvent parfois s’associer des relations plus distendues avec le voisinage12. Cela ne signifie pas pour autant que les personnes âgées en milieu rural ne font pas face à une forme d’isolement, d’une autre nature et davantage associée à des difficultés d’accès aux services et équipements.
Dans les territoires de massifs, le temps d’accès à un panier des principaux services de la vie courante est plus élevé que dans le reste de la France. La Corse (temps d’accès élevé) et le Massif central (situation intermédiaire) sont sur ce point des exemples particulièrement significatifs.
Dans les deux cas, la part de personnes de 75 ans ou plus résidant à moins de 5 minutes des principaux services de la vie courante est moins élevée (63,6 % pour le Massif central et 46,2 % en Corse) que dans le cas des territoires se situant en dehors des massifs (84,2 %).
En Corse, 32,7 % des 75 ans ou plus sont éloignés de plus de 10 minutes de ce type de services et les écarts y sont plus forts (21,1 % de situations intermédiaires avec un éloignement de 5 à 10 minutes). Tous les massifs ne présentent cependant pas ces caractéristiques.
Si la Corse fait figure d’exception avec seulement 55,7 % de sa population âgée résidant à moins de 7 minutes des principaux services de la vie courante, les autres massifs peuvent quant à eux être classés en deux groupes : d’un côté le Massif central, le Jura et les Pyrénées, où la part
de personnes de 75 ans ou plus résidant à moins de 7 minutes des principaux services de la vie courante est nettement inférieure à celle de la moyenne nationale (81,3 %) ; de l’autre, les massifs des Vosges (84,2 %) et des Alpes (86,8 %)13, où cette part est supérieure à celle de la France métropolitaine.
1. Pan Ké Shon Jean-Louis. Isolement relationnel et mal-être. In : Insee première. Novembre 2003, n° 931, 4 p.
2. Sauf mention contraire, les chiffres exposés ici et dans la suite de l’article sont issus des données de recensement de la population 2008 et 2018 de l’Insee.
3. Source : Insee, estimations de population et statistiques de l’état civil. 4. L’écart d’âge moyen entre conjoints pour un couple formé dans les années 1990 est de 2,3 ans. Cependant cet écart tend à se réduire puisqu’il était de 2,8 ans pour les couples formés dans les années 1950 (Vanderschelden Mélanie. L’écart d’âge entre conjoints s’est réduit, In : Insee Première. Avril 2016, n° 1073, 4 p.).
5. Cassan Francine, Mazuy Magali, Clanché François. Refaire sa vie de couple est plus fréquent pour les hommes. In : Insee Première. Juillet 2001, n° 797, 4 p.
6. Delbès Christiane, Gaymu Joëlle, Springer Sabine. Les femmes vieillissent seules, les hommes vieillissent à deux. Un bilan européen. In : Population et sociétés. Janvier 2006, n° 419, 4 p.
7. Source : Insee, Grille communale de densité 2021 (cf. annexe p. 120).
8. En 2018, la part des emplois dans l’agriculture représente 31,6 % des emplois dans les territoires très peu denses, contre 2,6 % en moyenne en France.
9. Giraud Christophe. Là où le célibat blesse. L’estimation du célibat en milieu agricole, In : Revue d’études en Agriculture et Environnement. 2013, vol. 94, n° 4, pp. 367-396.
10. L’ensemble des données ayant trait à l’accessibilité au panier de services de la vie courante sont issues de la Base permanente des équipements (BPE) 2019 (Insee), exploitée à l’aide du distancier Metric, et font référence à des temps d’accès routiers en heures creuses. Pour chaque commune, le temps d’accès à chaque service ou un équipement correspond au temps d’accès entre le chef-lieu de la commune et celui de la commune équipée la plus proche. Lorsque l’équipement se situe dans la commune, c’est la moyenne des temps de trajet entre chaque carreau de 200 m de côté de la commune et celui de l’équipement qui est retenue.Les données de population font ici référence au recensement de la population 2016 (Insee).
11. Pochet Pascal. Mobilité et accès à la voiture chez les personnes âgées : évolutions actuelles et enjeux. In : Recherche Transports et Sécurité. Avril-juin 2003, n° 79, pp. 93-106.
12. D’après le rapport de la fondation Petits Frères des pauvres sur les effets du confinement sur l’isolement des personnes âgées, en 2020 (au coeur d’une période marquée par la pandémie de Covid-19 et la succession de plusieurs confinements), 50 % des personnes enquêtées n’ont pas eu de relation avec leurs voisins dans les grandes agglomérations, contre 44 % en zones rurales (Fondation Petits Frères des Pauvres. Isolement des personnes âgées : les effets du confinement. L’isolement de nos aînés est une vraie distanciation sociale. Rapport d’étude. Juin 2020, 144 p.).
13. Ces territoires apparaissent en effet en moyenne plus urbanisés que les autres massifs (Insee, Grille communale de densité 2021), notamment pour ce qui concerne les parties alsacienne des Vosges et savoyarde des Alpes.