Une croissance démographique portée par un nombre de départements restreint à partir de la seconde moitié du XIXe siècle…
Dans la première moitié du XIXe siècle, la quasi-totalité1des départements français voit sa population augmenter. Le principal moteur de cette croissance est le solde naturel2, dont l’excédent est plus ou moins élevé selon les périodes. Ainsi, entre 1801 et 1815, l’excédent naturel est plus faible qu’entre 1816 et 1845, du fait de la forte mortalité liée aux guerres napoléoniennes3. Dans certains départements, qui semblent se situer généralement le long des principaux axes fluviaux, un solde migratoire positif s’ajoute au solde naturel positif.
Néanmoins, à partir de 1851 jusqu’à la veille de la Première Guerre mondiale, les dynamiques démographiques territoriales sont plus contrastées et des zones de décroissance apparaissent. Plus de la moitié des départements français perdent des habitants. Ces départements sont notamment localisés en Basse-Normandie, dans une partie du Sud-Ouest, du Massif central et de l’est de la France (axe allant du département de la Meuse au département du Var). Plusieurs moteurs peuvent être à l’origine de cette décroissance : un solde naturel négatif, un solde migratoire apparent négatif ou une situation de décroissance totale, qui résulte du cumul d’un solde naturel et d’un solde migratoire apparent négatifs.
En fait, entre 1851 et 1906, seuls 35 départements sont en croissance démographique. Ils se trouvent notamment dans le nord du pays, la vallée de la Seine, l’actuelle région Île-de-France, le sud de la Bretagne, une partie du centre de la France, le long de la Loire et sur le littoral méditerranéen. Plusieurs mécanismes sont à l’œuvre pour expliquer la croissance de ces départements : un solde naturel positif, un solde migratoire apparent positif ou une situation de croissance totale, qui résulte du cumul d’un solde naturel et d’un solde migratoire apparent positifs. Pour autant, ce ne sont pas forcément les départements en croissance totale qui ont enregistré les plus forts gains de population. Entre 1851 et 1906, c’est le département de la Seine qui a connu le gain de population le plus important (+ 2,4 millions d’habitants).
La baisse du nombre annuel de naissances, qui passe de 971 300 en 1851 à 827 3004 en 1900, explique la décroissance démographique d’une partie des départements. Elle est une conséquence de la transition démographique5, qui a touché de façon plus précoce certains territoires, où ses effets se sont fait ressentir plus rapidement, comme en Normandie. D’autre part, l’urbanisation et l’industrialisation au cours du XIXe siècle redéfinissent l’attractivité des territoires et amorcent un phénomène d’exode rural, qui se caractérise par le départ vers les villes d’une partie de la population rurale. Ainsi, les territoires qui bénéficient des dynamiques de l’industrialisation et de l’urbanisation voient leur attractivité augmenter et concentrent les arrivées de nouveaux habitants. À l’inverse, les territoires où ces dynamiques sont moindres, voient généralement leur population partir6.
Parmi les départements qui ont vu leur nombre d’habitants augmenter entre 1851 et 1911, la quasi- totalité de l’accroissement démographique (83,4 %) s’est réalisée dans seulement 10 départements : la Seine, le Nord, le Rhône, le Pas-de- Calais, les Bouches-du-Rhône, la Seine-et-Oise, le Finistère, la Loire, la Gironde et la Moselle. Le département de la Seine est celui qui a gagné le plus d’habitants (+ 2,7 millions entre 1851 et 1911), absorbant à lui seul plus d’un tiers (39,6 %) de l’accroissement démographique total.
La période 1911-1921 est particulière, puisqu’elle est marquée par la Première Guerre mondiale qui a entraîné la mort de plus d’un million de Français, parmi lesquels de nombreux jeunes hommes7. Entre le recensement de 1911 et celui de 1921, la population totale diminue de 2,2 millions de personnes8. Cette diminution s’explique par la forte mortalité provoquée par les combats et par la baisse du nombre de naissances, qui passe de 757 930 en 1914 à moins de
500 000 jusqu’en 19199, liée à la mobilisation des hommes en âge de procréer. En conséquence, la grande majorité des départements (82 sur 90) connaît une décroissance démographique au cours de cette période. Cette décroissance est plus prononcée dans les départements situés sur le front de l’Est (Meuse, Aisne, Marne, Ardennes, Somme, Meurthe-et-Moselle), dans les massifs (notamment dans le massif des Alpes et le Massif central), dans une partie du Sud-Ouest (Lot, Gers, Tarn-et-Garonne) et en Basse-Normandie (Manche et Orne). Seuls quelques départements (8 sur 90) continuent de voir leur population augmenter. C’est notamment le cas des départements de la Seine-et-Oise (+ 12,7 %) et de la Seine (+ 6,2 %).
Entre 1921 et 1968, la croissance démographique regagne la majorité des départements, à l’exception de quelques-uns notamment situés en Bretagne, dans le Massif central et son pourtour ainsi que dans une partie du Sud-Ouest. Les départements qui se trouvent dans l’actuelle Île-de-France, à l’exception de la ville de Paris, sur une partie du littoral méditerranéen, ainsi que les départements de la Moselle, de la Haute-Savoie et de la Haute-Garonne ont une croissance démographique plus soutenue que les autres départements sur cette période (taux de croissance annuel moyen supérieur à 1 %). Cette croissance démographique contrastée entre les départements s’explique par la hausse des naissances à partir de 1946 (baby-boom), dont bénéficient principalement les départements du Nord de la France10, mais également par une attractivité plus ou moins forte selon les territoires11.
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L’ÉVOLUTION DÉMOGRAPHIQUE DANS LES MASSIFS DE MONTAGNE
Entre 1876 et 1968, la population des massifs de France continentale12passe de 8,1 millions à 6,9 millions. Cette diminution de la population a été plus ou moins forte selon les massifs : - 30,2 % pour les Pyrénées, - 20,2 % pour le Massif central, - 13,2 % pour les Vosges et - 13 % pour le Jura. Concernant le massif des Alpes, son nombre d’habitants a d’abord diminué de - 18,3 % entre 1876 et 1921, avant de connaître une faible croissance entre 1921 et 1936 (+ 55 900 habitants), puis une hausse de + 32,4 % entre 1936 et 1968. Le dépeuplement de certains massifs de montagne à partir du début du XXe siècle s’explique par un déficit naturel, lié au recul de la natalité et à la faible diminution de la mortalité, ainsi que par un solde migratoire négatif13. Entre 1911 et 1921, tout comme dans le reste de la France, les répercussions de la guerre de 1914-1918 sont significatives pour l’ensemble des massifs, qui perdent au total environ 737 000 habitants (- 9,6 %).
Au sein des massifs, les dynamiques démographiques sont hétérogènes et dépendent de phénomènes locaux variés. Par exemple, la région limousine a vu de nombreux hommes partir vers la capitale, pour travailler en tant que maçons dans le secteur du bâtiment. La plupart d’entre eux sont originaires du département de la Creuse, à l’instar de Martin Nadaud dont les mémoires14 sont l’un des principaux témoignages des conditions de vie des maçons limousins à Paris. Ce phénomène commence dès le XVIIIe siècle, mais s’amplifie dans la seconde moitié du XIXe siècle, en raison des grands travaux entrepris sous le Second Empire par le baron Haussmann. D’abord temporaires, ces migrations se transforment plus fréquemment en installations définitives à partir de 186015 et expliquent en partie la diminution de la population creusoise, qui passe de 285 700 à 266 200 (soit - 6,8 %) entre 1846 et 1911. Un peu plus de 36 000 Creusois sont recensés dans le département de la Seine en 1911. Mais c’est surtout au cours du XXe siècle que le nombre d’habitants du département de la Creuse connaît sa plus forte diminution : passant de 228 200 en 1921 à 156 900 (soit - 31,2 %) en 1968. Les handicaps naturels défavorables à la culture de la terre (acidité des sols, climat humide et altitude), l’enclavement, le faible taux d’urbanisation ainsi qu’un développement industriel moindre16 sont les principaux moteurs de cette décroissance.
À une échelle plus fine, on observe que la grande majorité des communes situées dans les massifs a connu une forte décroissance démographique entre 1876 et 1968 : 7 859 communes sur 8 617 avaient un taux de variation annuel moyen inférieur ou égal à - 0,5 %. Toutefois, quelques communes ont tout de même connu une croissance démographique importante, même dans les massifs où la population totale a diminué. Ainsi, 328 communes ont eu un taux de croissance annuel moyen supérieur ou égal à 0,5 % entre 1876 et 1968. Ces communes ont vu leur population augmenter notamment grâce à l’urbanisation, aux activités industrielles (comme Grenoble et Clermont-Ferrand) et au développement du tourisme (comme Vichy, Val-d’Isère et Chamonix-Mont-Blanc)17.
… qui entraîne une forte hausse de la concentration de la population
Les dynamiques démographiques qui se sont mises en place dans la seconde moitié du XIXe siècle, très diverses selon les départements, ont entraîné une augmentation de la concentration spatiale de la population. Au début du XIXe siècle, la France compte 27,3 millions d’habitants sur son territoire, dont 25 % se concentrent dans 13 départements : le Nord, la Seine, la Seine-Inférieure, la Manche, le Puy-de-Dôme, le Pas-de-Calais, les Côtes-du-Nord, la Gironde, l’Ille-et-Vilaine, la Somme, la Saône-et-Loire, le Calvados et le Bas-Rhin. Plus de la moitié de ces départements sont situés sur le littoral de la Manche ou à proximité. À la veille de la Première Guerre mondiale, en 1911, la France compte 41,5 millions d’habitants18 (+ 52 % par rapport à 1801). Un quart de la population totale se concentre désormais dans seulement sept départements : le Nord, le Pas-de-Calais, la Seine-Inférieure, la Seine-et-Oise, la Seine, le Rhône et la Gironde. Il s’agit principalement de territoires profitant des effets de l’urbanisation et de l’industrialisation. Plus de 50 années plus tard, en 1968, 50,8 millions de personnes peuplent la France (+ 22,4 % par rapport à 1911). Compte tenu de la réorganisation de la région parisienne de 1964, qui devient effective en 196819, 25 % de la population se concentre dans huit départements : Paris, le Nord, les Bouches-du-Rhône, les Hauts-de-Seine, le Pas-de-Calais, le Rhône, la Seine-Saint-Denis et le Val-de-Marne. Toutefois, quatre de ces départements sont des créations nouvelles, issues des anciens départements de la Seine et de la Seine-et-Oise.
Cette concentration de la population dans un nombre restreint de départements s’est faite au détriment de certains territoires, souvent à dominante rurale. Ainsi, en 1968, les 20 départements les moins peuplés n’abritaient plus que 7,3 % de la population totale contre 15 % en 1801.
1. Une interrogation méthodologique subsiste concernant la décroissance affichée pour le département du Lot entre 1801 et 1851. En effet, le nombre d’habitants par département en 1801 est fourni par la série « mouvement de la population » de la Statistique Générale de la France (SGF), qui s’appuie sur le découpage départemental en vigueur en 1826. Toutefois, malgré la création du Tarn-et-Garonne en 1808, qui a modifié les limites territoriales d’une partie des départements voisins (le Lot, la Haute-Garonne, le Lot-et-Garonne, le Gers et l’Aveyron), aucune information n’est disponible concernant la façon dont le nombre d’habitants des départements impactés par cette création a été calculée pour l’année 1801. Aussi, la croissance affichée pour ces départements entre 1801 et 1851 doit être considérée au regard de cette interrogation méthodologique.
2. Le solde naturel correspond à la balance entre le nombre de naissances et le nombre de décès enregistrés au cours d’une période.
3. Garden Maurice, Hervé Le Bras, Dupâquier Jacques. III – La dynamique de la population française. In : Dupâquier Jacques, Garden Maurice. Histoire de la population française (3). De 1789 à 1914. Paris : Presses Universitaires de France, 1988, pp. 117-172.
4. Les valeurs ont été arrondies à la centaine supérieure.
5. Cf. article « Le recul du poids démographique de la France en Europe ».
6. Poussou Jean-Pierre, Lepetit Bernard, Courgeau Daniel, Dupâquier Jacques. IV - Migrations et peuplement. In : Jacques Dupâquier. Histoire de la population française (3): De 1789 à 1914. Paris : Presses Universitaires de France, 1988, pp. 167-235.
7. Héran François. Générations sacrifiées : le bilan démographique de la Grande Guerre. In : Population & Sociétés, 2014/4, n° 510, pp. 1-4.
8. Selon les chiffres de la base historique de la population communale de l’Insee.
9. Les données de la conjoncture démographique de la France, Institut national d’études démographiques (Ined).
10. Pumain Denise, Courgeau Daniel. IX – Évolution du peuplement. In : Dupâquier Jacques. Histoire de la population française (4) de 1914 à nos jours. Paris : Presses Universitaires de France, 1988, pp. 387-420.
11. Courgeau Daniel. X – Mobilité et migrations. In : Dupâquier Jacques. Histoire de la population française (4) de 1914 à nos jours. Paris : Presses Universitaires de France, 1988, pp. 421-456.
12. Massif de Corse non inclus.
13. Estienne Pierre. Évolution de la population des montagnes françaises au XXe siècle. In: Revue de géographie alpine. 1989, tome 77, n° 4. pp. 395-405.
14. Nadaud Martin. Mémoires de Léonard, ancien garçon maçon. Bourganeuf : Édition A. Doubeix, 1895, 512 p.
15. Clastres Hélène, Pinton Solange. I. L’histoire de la migration creusoise et ses caractéristiques. In : De la tradition à l'histoire : les maçons de la Creuse. Rapport pour la mission du patrimoine ethnologique, mars 1999, pp. 2-22.
16. Derruau-Boniol Simone. Le département de la Creuse. Structure sociale et évolution politique. In: Revue française de science politique, 1957, n° 1, pp. 38-66.
17. Estienne Pierre. Evolution de la population des montagnes françaises au XXe siècle. In: Revue de géographie alpine, 1989, tome 77, n° 4. pp. 395-405.
18. Départements de l’Alsace-Moselle inclus.
19. La loi n° 64-707 du 10 juillet 1964 portant réorganisation de la région parisienne, a entraîné la suppression des départements de la Seine et de la Seine-et-Oise, qui ont été remplacés par 7 nouveaux départements : Paris, les Hauts-de-Seine, la Seine-Saint-Denis, le Val-de-Marne, l’Essonne, les Yvelines et le Val-d’Oise.